Il ne fallait pas inviter Mila sur BFM
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Il ne fallait pas inviter Mila sur BFM

Mila Orriols n'est plus seulement une "jeune femme harcelée" : c'est une influenceuse d'extrême droite

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Mila (de son nom complet Mila Orriols), tristement connue pour avoir été la jeune fille la plus harcelée de France en 2020, a fait son retour télévisé début avril sur BFM, déclenchant une flopée de réactions, notamment sur son "basculement" identitaire. Mais pourquoi l'inviter, et en quelle qualité ?

Il est délicat d'écrire sur Mila pour quelqu'un qui passe son temps à étudier le harcèlement en ligne. Comment être sûre que ma chronique ne sera pas utilisée pour l'insulter ou la harceler ? Mais Mila Orriols, de son nom complet, est devenue un personnage médiatique. Même si elle continue de n'être quasi systématiquement désignée que par son prénom comme du temps où elle était mineure, Mila Orriols est désormais majeure. Surtout, elle n'est plus seulement "une jeune femme harcelée" : forte de plus de 100 000 abonnés sur les réseaux sociaux, elle s'affiche désormais ouvertement comme identitaire en outrepassant les limites du droit au blasphème.

Plus de quatre ans après "l'affaire Mila", elle était invitée le 8 avril dernier dans la matinale de BFM/RMC. Pourquoi l'inviter et en quelle qualité ? Dans la profession, l'indignation gronde, à l'instar du photojournaliste Louis Witter, du journaliste indépendant Arthur Weil-Rabaud qui demande : "Pour quelle raison invitez-vous Mila dans votre matinale ? Mila est une militante d'extrême droite islamophobe", ou encore de Dimitri L'hours, journaliste au Télégramme, qui ironise : "Le temps de parole sera décompté de celui du RN ou de Reconquête ?".

La présence de Mila dans une matinale de chaîne d'info nationale interroge et indigne beaucoup sur les réseaux : "Drôle de choix de programmation ! Invitée à quel titre ? Influenceuse identitaire ?" ; "Y a des gens plus qualifiés qu'elle sur tous les sujets possibles mais vous avez choisi d'inviter une propagatrice de haine" ; "L'égérie des fafs invitée en tant que spécialiste de l'école". Le tweet annonçant sa venue est vu 1,4 million de fois et reçoit plus d'un millier de commentaires, en grande majorité négatifs.

Lorsqu'elle affirme qu'il y a "une véritable police des mœurs dans les lycées de la part des élèves", on peut en effet s'interroger sur la pertinence du jugement d'une jeune femme qui n'a (malheureusement) pas eu la possibilité de suivre des cours dans un lycée depuis des années.

En 2020, la surexposition médiatique de "l'affaire Mila" avait participé à sa mise en danger alors qu'elle était mineure. Aujourd'hui, lui donner la parole est perçu comme une façon de céder "au buzz" et de participer à la diffusion d'idées "rances" et à la montée de l'extrême droite. Et pour cause.

Séquence médiatique et polémique

La veille de son passage à BFM, la jeune femme était également l'invitée du média d'extrême droite Boulevard Voltaire : une interview de 30 minutes tout en complaisance par le journaliste et ami de Mila, Jordan Florentin, pour mieux développer leur "islamophobie d'atmosphère". Une semaine plus tôt, elle était dans le Point pour une interview - là aussi relativement complaisante - en réaction à l'affaire du lycée Maurice Ravel où un proviseur a été menacé de mort après une altercation avec une élève à qui il avait demandé d'enlever son voile.

Son entretien à BFM et les réactions suscitées ont donné à cette séquence médiatique trois angles différents. Le premier, c'est la reprise par la réacosphère des propos les plus choc de Mila : "J'ai l'impression qu'on a une véritable police des mœurs dans les lycées de la part des élèves" ou "La laïcité est morte". Dans Les Grandes Gueules sur RMC, c'est l'occasion de se répandre en poncifs (et il faut le dire, en fake news), une chroniqueuse arguant que les Frères musulmans auraient "gangrené des universités" et seraient à la manœuvre de certains évènements à Sciences Po. Sur CNews, c'est un passage obligé dans L'Heure des Pros et chez Morandini, alors que le Figaro Vox, propose un billet tout en nuance comme à son habitude ("Mila a raison : aujourd'hui, la laïcité est morte à l'école").

Deuxième angle de cette couverture médiatique : une micro-polémique née lorsqu'elle raconte sur BFM avoir été "briefée" pour qu'elle s'excuse, avant son interview de 2020 chez Quotidien, seule télévision qu'elle avait fait à l'époque. Mila utilise un pronom indéfini - "On m'a demandé" - mais l'emballement est immédiat. "Mila révèle que l'émission Quotidien lui aurait demandé de s'excuser après son cyberharcèlement", titre alors le Figaro. La presse produit des dizaines de papiers qui poussent Quotidien à démentir l'information à l'antenne. L'emballement s'appuie sur une "surinterprétation", précise ensuite Apolline de MalherbeDans le doute que soulève ce pronom indéfini "on", pourquoi ne pas demander des précisions à l'intéressée ? Une perte de temps dans la course au clic, apparemment. Pourtant, Mila elle-même avait retweeté le journaliste de Boulevard Voltaire qui précisait : "Mila ne met nullement en cause Quotidien mais l'entourage présidentiel et précise bien les manipulations vécues en amont." Cette polémique construite sur une fausse information aura permis à Cyril Hanouna et Pascal Praud de se payer à moindre frais leur ennemi juré Yann Barthès, qui présente Quotidien, et tant pis pour les faits.

"Basculement identitaire” ou continuité idéologique ?

Le troisième traitement médiatique est le "basculement" qu'aurait opéré Mila : elle serait passée de soutien à Charlie Hebdo (avec qui elle partage un avocat, Me Richard Malka) à l'extrême droite. Comment expliquer ce grand écart ? Chacun y va de son analyse. Charlie Hebdo fait le choix d'interroger Emma Rafowicz, présidente des Jeunes Socialistes, pour qui le positionnement politique actuel de Mila serait le résultat de son abandon par une partie de la gauche : "Mon impression c'est qu'elle s'est sentie abandonnée, sans doute par une partie de la gauche d'ailleurs. Je pense que ça l'a amené à vriller complètement." Même analyse pour Raphaël Enthoven dans L'Express : "Comment ne pas comprendre que, face à la double peine qui consiste à se voir mise en danger par des fous et désavouée par des lâches, Mila soit tentée par des discours extrémistes ? Comment ne pas comprendre qu'elle se rapproche des filous identitaires qui, à cette époque, la soutenaient bruyamment ?" Cette théorie est partagée par Alice Cordier, la présidente du collectif identitaire Némésis, et nouvelle meilleure amie de Mila : "Certains se plaignent que Mila ait rejoint notre association. Peut-être parce que nous avons été la seule asso féministe à la soutenir quand elle se faisait harceler. Quand toutes les autres ont fait la politique de l'autruche."

L'intéressée elle-même semble adhérer à cette analyse, retweetant sur X un anonyme arguant qu'elle se tourne "naturellement vers les rares courageux qui osent critiquer sévèrement l'Islam et qui l'ont soutenue sans lui rappeler doctement que l'Islamisme n'avait rien à voir avec l'Islam". Chez Boulevard Voltaire, elle ironise : "Peut-être que j'aurais fini gauchiste, qui sait, j'étais le cliché de la grosse connasse aux cheveux bleus, ça aurait pu déraper." Elle y rappelle également qu'elle n'a "jamais été de gauche", contrairement à ce que certains semblent penser, à l'instar de Charlie Hebdo qui écrit qu'elle était "à la base une jeune fille progressiste assumant sa bisexualité". Sur ce dernier point, la jeune femme est, en effet, devenue silencieuse. Sur son compte X où elle supprime beaucoup de publications, la dernière mention d'un combat LGBT remonte à 2020 : elle partageait un post s'en prenant au Mariage Pour Tous. L'association "héritière" de ce mouvement, Les Éveilleurs, co-organisait le 25 avril un "grand débat" (entre gens d'accord) avec Jordan Bardella, François-Xavier Bellamy et Marion Maréchal, et Mila faisait partie des convives. 

Pour d'autres, le coming-out identitaire de Mila est la preuve que le Printemps Républicain et consorts mènent tout droit vers la fachosphère. 

Influenceuse identitaire en roue libre

Une chose est certaine : la jeune influenceuse, qui affiche dans sa bio Instagram des codes promo pour une marque de nutrition sportive, s'assume comme femme de droite - qu'elle appelle "droite forte". Une photo avec Jordan Bardella est la suite logique de la consigne de vote pour les Européennes qu'elle délivrait sur Instagram le 26 avril.

Mila Orriols affiche également volontiers ses fréquentations : tout le gratin d'extrême droite. "Des personnes qui n'ont pas froid aux yeux et qui se battent courageusement, des résistants qui défendent corps et âme les mêmes valeurs que moi", confie-t-elle au Point.

Mais lorsqu'on l'interroge sur son engagement politique, elle reste prudente. À BFM : "«Militante», c'est peut-être pas le terme, je reste Mila qui fait de la muscu (...), je ne fais pas de politique", bien qu'elle ait rejoint le collectif Némésis évoqué plus tôt. "Moi, faire de la politique ? ce serait désastreux ! Je suis très jeune, ce sont des choses que je ne maîtrise pas" écrivait-elle sur Instagram le 26 avril.

Entre des retweets de comptes identitaires comme FDesouche ou encore Les Natifs (des anciens de Génération identitaire qui ont brandi une banderole raciste à l'encontre d'Aya Nakamura sur les quais de Seine en mars dernier), on repère dans ses posts sur X tous les emballements dont la fachosphère raffole. "On ne te dérange pas, la pédophile ?" commente-t-elle en partageant un post mettant en avant un livre d'éducation à l'intimité pour les enfants. Son soutien aux forces de l'ordre pendant les émeutes de 2023 après la mort du jeune Nahel, tué par un policier, passe par l'emploi des éléments de langage ironiques de l'extrême droite ("petit ange"). L'instrumentalisation de fait divers lui permet de répéter ad nauseam que le problème, ce sont les étrangers. Fervent soutien d'Israël, elle a rebaptisé, comme Damien Rieu, la juriste franco-palestienne et candidate LFI aux Européennes Rima Hassan en "Rima Hamas". Parmi ses messages, certains usent d'un hashtag d'une grande finesse intellectuelle : #gauchismemaladiementale. Régulièrement,  ses tweets plus provocateurs et ouvertement islamophobes déclenchent l'indignation : "J'ai toujours pensé et déclaré que les « musulmans corrects » étaient ultra minoritaires en France", tweetait-elle récemment.

Le 19 mars dernier, elle écrivait : "L'islamophobie m'a fait glow up ["embelli", ndlr]. Soyez islamophobes". 11,3 million de vues. "Cela peut s'apparenter à de l'incitation à la haine en raison de la religion d'un groupe de personnes", rappelle une note de la communauté. Mais Mila Orriols s'en contrefiche. À un internaute qui le lui rappelle, elle rétorque: "Je vous en prie, déposez une plainte. Nous avons le droit de détester une secte dangereuse. Se moquer de l'islam, c'est un droit, et même un devoir."

Elle le reconnaît elle même : elle dit "tout ce qui lui passe par la tête". Et si la programmation de BFM a fait mine de l'ignorer, le constat est accablant lorsqu'on prend la peine de se pencher sur ses publications. 

Un tweet ouvertement raciste effacé ?

Est-ce "un droit, et même un devoir" de produire des tweets ouvertement racistes ? Le 4 février dernier, Mila aurait tweeté des propos odieux, islamophobes et racistes : "C'est un constat. Une immense partie des familles maghrébines sont consanguines, et beaucoup ont des visages difformes et assez laids, et des très petits fronts. Surtout les migrants chelous qui nous agressent dans la rue tous les jours". C'est ce qu'affirment deux internautes qui ont eu le temps de faire des screens avant que les tweets ne soient supprimés. Mais Mila nie en bloc: "Il y a un montage qui tourne depuis deux jours concernant un tweet qui n'est pas de moi", indique-t-elle sur Instagram avant de menacer : "Certaines associations dites « anti-racistes » sont informées qu'il s'agit d'un montage mais envisagent tout de même de porter plainte contre moi. J'aimerais ne pas en arriver là, mais si c'est le cas, je déposerais une plainte pour diffamation contre ces personnes qui s'acharnent sur moi, même si je ne connais pas l'auteur des faits". Avant de plaider : "Rétablissons la vérité, et montrons leur que ces intimidations sont insignifiantes".

Tous les indices suggèrent pourtant que ces tweets ont bel et bien existé. Preuve numéro 1 : plusieurs captures d'écran existent, prises par des internautes à quelques minutes d'intervalle. Surtout, des tweets, toujours en ligne, et qui semblent avoir été postés en réponse aux siens, correspondent aux propos qu'elle aurait tenus. L'auteur d'une des captures d'écran qui en avait marre de se faire traiter de menteur y a consacré tout un thread.

La Ligue des Droits de L'Homme a porté plainte contre X le 16 février 2024 pour "injure publique à raison de l'origine ou de l'appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". L'une de leurs juristes indique à ASI que cette plainte a été "très rapidement classée sans suite le 22 février 2024 au motif que « Les faits ou les circonstances des faits de la procédure n'ont pu être clairement établis par l'enquête. Les preuves ne sont donc pas suffisantes pour que l'infraction soit constituée, et que des poursuites pénales puissent être engagées »". La LDH n'a "pas davantage d'éléments quant aux actes d'enquêtes réalisés par le parquet sur ces faits". Curieux  car l'association avait produit les captures d'écran que je mentionne plus haut, ainsi que l'url du tweet original - qui permet par ailleurs d'en retrouver les réponses. Leur avocat, Arié Alimi, indique également à ASI avoir fait un "recours hiérarchique devant le parquet général et demandé le dossier au parquet". À suivre donc.

Fallait pas l'inviter

Avec les multiples vagues de cyberharcèlement dont elle a été victime, Mila a reçu plus de 100000 messages lui promettant les pires sévices. Ce qu'a vécu cette jeune femme est innommable et il faut bien garder cela en tête en abordant son cas. L'inviter dans l'une des plus grosses matinales nationales était une erreur, voire irresponsable. Non seulement cela l'expose à nouveau de façon démesurée aux messages haineux qu'elle reçoit encore quotidiennement sous ses tweets les plus provocateurs. Mais cela participe aussi à l'extrême-droitisation de la société, en validant implicitement l'idée que la fachosphère constitue le rempart de la laïcité et de la liberté d'expression, en donnant du crédit à une personne qui déroule à longueur de tweets une islamophobie et un racisme des plus décomplexés. Mila le dit : elle a "la haine", "la rage". Sur les réseaux sociaux, elle n'hésite d'ailleurs pas à livrer ses détracteurs en pâture à ses abonnés et à la fachosphère, ni à afficher les informations personnelles de journalistes lorsqu'ils travaillent sur elle. Comme elle l'a fait (avant de supprimer) il y a quelques mois avec Arthur Weil-Rabaud et Daphné Deschamps alors qu'ils préparaient un article traitant de ses partenariats d'influenceuse avec une marque de nutrition sportive. 

Instrumentalisée un temps par le Printemps Républicain, Mila Orriols l'est désormais par l'extrême droite, de manière visiblement tout à fait consentie. Est-ce le rôle des médias de l'encourager dans ce cheminement ?

Surtout, aujourd'hui, Mila n'est plus seulement "Mila". Elle est une influenceuse d'extrême droite. Il est plus que temps de mettre à jour le bandeau de BFM pour décrire celle qui affiche elle-même son nom de famille sur Instagram.

Contactée, Mila Orriols n'a pas répondu.

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